Lorsque l'idée nous est venue de rencontrer Fabien Delbeeke, le fil conducteur était de confronter son vécu de joueur professionnel à celui de coach dans le football amateur. Il n'est effectivement pas fréquent de croiser d'anciens pros dans les dug-out de Provinciale!
Dès l'âge de 21 ans, Fabien intègre le Noyau A de l'Excelsior Mouscron et accède à l'élite du football belge (1995). Niveau qu'il retrouvera avec La Louvière: 3 saisons en D2 (97-00), 2 en D1 (00-02). Viennent ensuite le SK Renaix (2 saisons en D2) et Wasquehal (1 saison en National 1), avant de poser ses valises pour 10 ans au Stade Luc Varenne (05-15). C'est dans le club tournaisien qu'il prendra pour la première fois en charge un groupe d'adultes.
Premiers pas au Futuro
Alors joueur pro à La Louvière, Fabien décide d'offrir ses services à Philippe SAINT-JEAN pour donner des séances d'entraînement aux jeunes pousses du Futurosport: "Lors des demi-journées où nous ne nous entraînions pas, je préférais occuper mon temps disponible en collaborant à l'École des Sports, où j'ai eu l'occasion de croiser de jeunes talents comme Maxime LESTIENNE ou Jeanvion YULU-MATONDO."
"Prenez des notes!"
Sa carrière de joueur lui a permis de travailler sous les ordres de fameuses personnalités. De quoi garder des influences déterminantes!
"De Georges LEEKENS, je retiens sa capacité à transcender les joueurs, ainsi que sa manière assez fine de distiller ses petites attaques personnelles. Daniel LECLERCQ, surnommé "le Druide", arrivé à La Louvière pour sauver le club de la relégation, était très exigeant. Il nous mettait une pression terrible à l'entraînement. Benoit THANS et Manu KARAGIANNIS devaient d'ailleurs souvent rassurer le jeune joueur que j'étais, me faisant comprendre que s'il était à ce point sur mon dos, c'était pour me tirer vers le haut. J'ai aussi pu apprécier toute la science tactique d'Ariel JACOBS, et la passion qui animait Jean-Marc VARNIER à Tournai."
Fabien n'est pas non plus près d'oublier sa toute première séance avec le Noyau A de l'Excelsior, sous la houlette d'André Van Maldeghem: "Au moment de faire les équipes pour une opposition, il m'a désigné en m'appelant Ding (Chose). Assez surprenant sur le coup (rires)!"
"Si j'ai un conseil à donner aux joueurs qui envisagent de se lancer par la suite dans le coaching, c'est de penser à recopier un maximum de schémas d'exercices, pour pouvoir les reprendre plus tard en les accommodant à leur propre sauce."
D'adjoint à T1
Fabien devient joueur - entraîneur adjoint en 2008 à la nomination de Christophe DENIE. Il le restera jusqu'au limogeage de ce dernier, redevenant simple joueur à l'arrivée d'Alex CZERNIATYNSKI en janvier 2010.
C'est suite à sa blessure aux ligaments croisés en 2014 que le RFCT lui confie les rênes de l'équipe. Une expérience qui ne sera pas simple, les années dorées étant passées (le manager Jean-Claude STOCMAN se retirera d'ailleurs en fin de saison).
Photo nordeclair.sudinfo.be Proche des joueurs
"Au départ, je n'envisageais pas vraiment de devenir entraîneur principal. Je me voyais plutôt dans la peau de l'adjoint, dans ce rôle de relais, plus proche des joueurs. C'est justement ce que je retrouve et apprécie en Provinciale. J'aime bien chambrer les joueurs, déconner avec eux, leur mettre des petits ponts lors des toros, je m'éclate alors."
Savoir s'adapter
"La principale différence avec le foot en Nationale? Lorsque tu évolues au niveau des pros, tu as une obligation contractuelle de présence. Les staffs ont moins de surprises de dernière minute. Ici, tu peux préparer une séance pour 18 joueurs et te retrouver à 15 une demi-heure avant de commencer l'entraînement... C'est toi qui dois t'adapter à la provinciale, et pas les joueurs à toi."
Fun football
D'où l'importance de leur donner du plaisir pendant les séances: "À notre niveau, les joueurs viennent s'entraîner après leur journée de travail. Ils doivent aussi pouvoir se détendre, être heureux de retrouver les potes. C'est pourquoi j'essaye toujours que mes entraînements soient ludiques, mettant autant que possible l'accent sur le jeu. Tout se fait avec ballon."
Avec un peu d'humour, ça passe mieux!
D'aucuns lui collent l'étiquette de "trop gentil". Fabien sait pourtant dire les choses quand il le faut, mais à sa manière: "Je ne vais pas changer de personnalité parce que j'enfile le costume de coach. Je reste comme je suis. Et si je dois faire passer un message, je préfère le faire sous forme de boutade, ou en distillant une petite pique ou une piqûre de rappel lors des causeries."
D'abord le groupe
À la question de savoir quel est l'aspect le plus difficile de la fonction, Fabien répond sans hésiter qu'il s'agit de la sélection: "Parce que souvent le joueur pense qu'il est le meilleur que l'autre. Mais je n'ai jamais vu un coach qui alignait un joueur moins fort... Peut-être d'ailleurs que l'autre est intrinsèquement supérieur, mais qu'il apportera moins au groupe. Ce qui importe, c'est d'aligner l'équipe qu'on juge la meilleure à l'instant T. Il faut parfois savoir donner un signal fort en écartant un cadre, suite par exemple à une absence douteuse en semaine. Ceci dit, la porte de mon vestiaire est toujours ouverte. Mais il ne faut pas revenir chaque semaine me poser la même question. Parce que la remise en question personnelle semble déficiente chez certains. Si un joueur change de club chaque année soi-disant parce qu'il a eu de mauvais entraîneurs, il devrait se demander si ce n'est pas lui le problème...".
Cette primauté du groupe va de pair avec une modestie toute naturelle: "Je ne me sens pas vraiment personnellement décisif sur les résultats, ce sont les joueurs qui font le boulot, en mettant leurs qualités au service du collectif."
Le regard de l'adjoint
Depuis son arrivée à Obigies, Fabien peut compter sur l'appui d'un adjoint, Thierry COLIN. "C'est d'autant plus intéressant que Thierry connaît bien le club, particulièrement les jeunes dont il a supervisé la formation. Leur intégration progressive étant un des objectifs fixés au départ. Son apport est notamment précieux pour aborder la sélection. Le jeudi, Thierry couche son équipe sur papier, j'en fais de même de mon côté, et nous confrontons nos points de vue avant de décider. C'est précieux de pouvoir ainsi s'appuyer sur quelqu'un."
Entraînements de correction
Fabien et Thierry se concertent également en aval du match, pour déterminer ensemble ce qui a moins bien fonctionné. C'est sur base de ces constats que le coach obigeois va orienter les séances de la semaine suivante. "Prenons l'exemple de la défense de zone: si nous ne sommes pas satisfaits de notre organisation défensive, nous allons envisager après l'échauffement un jeu de possession avec 4 petits buts, pour y mettre l'accent sur le coulissement et la couverture mutuelle. Nous enchaînerons avec des 2c1, puis des 3c2, avec l'idée pour le défenseur de protéger l'axe et d'amener l'attaquant sur le côté. Dans ce travail, le coaching du gardien est également très important. Viendra ensuite un 4c4, avec un défenseur qui sort sur le porteur du ballon, et les 3 autres qui viennent cadrer."
Jouer notre jeu
Les points d'insistance de Fabien à la théorie sont quasi uniquement axés sur son équipe. Pas de focalisation sur l'adversaire, et encore moins d'adaptation sur le terrain: "Je pense que ce serait montrer qu'on est inférieur, les joueurs peuvent le ressentir ainsi. On reste dans notre système et on sait comment on doit réagir en perte de balle. Dans notre 4-3-3, qui devient un 4-5-1 en B-, mes attaquants et mon 10 doivent se replacer le plus vite possible dans le bloc. Ma causerie est donc assez courte, les joueurs savent bien ce qu'ils doivent faire. Jusqu'aux rentrées en touche, qui sont travaillées à l'entraînement. Pas besoin d'insister sur l'adversaire, la plupart des joueurs se connaissent en P2! Nous devons juste essayer de développer notre jeu. Si on a tout donné et que l'adversaire était plus fort, il mérite sa victoire, tout simplement."
Marquage individuel
Fabien n'est pas un adepte de la défense de zone sur phases arrêtées. "C'est peut-être mon passé de joueur qui me fait préférer le bon vieux marquage individuel, mais j'estime qu'il est difficile de défendre à l'arrêt face à un joueur qui arrive lancé. Un grand costaud va toujours te bouger. Avec le "chacun son homme", tu es en contact avec ton adversaire direct, et tu peux le gêner dès le début du mouvement. De plus, si malheureusement nous encaissons, le fautif est facilement identifiable."
Témoignages
Michaël DUTRIEUX (T2 au RFC Tournai): Nous avons travaillé ensemble lors de la saison 2014-2015, la dernière avant une réforme en profondeur et la scission du foot néerlandophone et francophone. Le niveau de la série était donc encore très relevé, avec des formations comme Deinze, Oudenaarde, Gullegem. Bref, une bonne D3 nationale. Au niveau du noyau, Desire, Martin, Chantry, El Idrissi formaient l'ossature du groupe, avec beaucoup de jeunes joueurs inexpérimentés, et d'autres trop limités pour la division. Le club ne faisait pas un cadeau à Fabien avec l'équipe mise à sa disposition! Nous avions vite compris que la saison serait longue et compliquée. Malgré cela, nous avons réussi à prendre une vingtaine de points, avec des "exploits" à Londerzeel (un solide Top 5), contre Deinze, et un double succès face aux Géants Athois de Luigi NASCA. Lorsque Fabien a appris que j'allais être son adjoint, sans me connaître, il m'a accueilli les bras ouverts et m'a rapidement mis à l'aise. C'est un vrai gentleman, quelqu'un avec qui il est difficile de s'embrouiller. C'était sa première expérience comme coach, et surtout le long de la touche. Comme il venait de franchir la barrière, il prenait souvent part aux entraînements, notamment dans les exercices de possession de balle. Il ne faisait pas tache, que du contraire! Si bien qu'à un moment de la saison, on avait évoqué un retour dans le jeu pour guider les jeunes de plus près. Au niveau des séances, il se basait beaucoup sur son expérience, avec une dominante dans le travail de possession. Je m'occupais plus spécifiquement de la préparation physique, matière dans laquelle il ne se sentait pas vraiment à l'aise. Sur le plan tactique, il faisait également passer ce qu'il avait vécu quand il était joueur. Les joueurs le respectaient par rapport à son parcours, et ce qu'il représentait! Les supporters l'appréciaient également à sa juste valeur. À l'issue de la saison, il a quitté un club qui comptait beaucoup pour lui, pour rejoindre son village et l'OC Warcoing en P2. Je garderai un infini souvenir de mon expérience à ses côtés. Je découvrais le foot national, certes dans un rôle de T2 mais, malgré des conditions très difficiles, nous avons été jusqu'au bout (joueurs compris) en nous serrant les coudes, et très souvent avec beaucoup d'humour et de passion!
Aland MOTTE (équipier au RFC Tournai puis sous ses ordres à Warcoing): Au niveau de ses entraînements, je pense pouvoir dire que c'est le meilleur coach que j'ai connu. Il se base sûrement sur ses années d'expérience en pro, tous ses entraînements sont basés sur le jeu; même le physique, on le fait avec ballon. Tu ne vas jamais avec des pieds de plomb car tu sais que tu vas prendre du plaisir. Et malgré qu'il ait toujours été pro, il sait qu'en provinciale il ne peut pas être aussi exigeant que ça l'est au niveau professionnel. Sa philosophie, c'est d'essayer au maximum le jeu au sol, en reconstruisant de l'arrière; il est partisan du beau jeu. Il préfère par exemple que le gardien relance sur ses arrières plutôt que de dégager un ballon sur ses attaquants. Ses théories d'avant-match ne sont ni trop longues ni trop courtes. Si l'adversaire a de grosses forces, il va en toucher un mot, mais pas s'y attarder; son objectif, ça n'est pas de s'adapter à l'adversaire, mais plutôt l'inverse. On a toujours joué dans le même système. Maintenant, c'est déjà arrivé qu'on passe à trois derrière en cours de match s'il fallait aller chercher un résultat, mais rarement. Après, il faut dire aussi qu'on avait une équipe pour jouer la tête. Parmi ses points forts, je dirais déjà qu'il connaît le foot, grâce à son expérience de joueur pro, mais que malgré ça tu ne l'entends jamais s'en vanter, comme j'ai déjà entendu par ailleurs certains "moi je"... Il est assez proche de ses joueurs, et n'hésite pas à blaguer avec le groupe. Son esprit un peu chambreur, ça rapproche tout le monde, et ça met un bon état d'esprit dans le groupe. Honnêtement, difficile de lui trouver un point faible, mais si je dois le faire je dirais parfois un peu "trop gentil".
Jérémy MARLIÈRE (capitaine d'Obigies): Fabien est très fort tactiquement, très attentif à l'organisation de son équipe. Chaque joueur reçoit des consignes précises en fonction de son poste. Il ne s'intéresse pas beaucoup à l'adversaire pour sa préparation de match, c'est vraiment focus sur son groupe. Le coach vit le match avec nous, replace sans cesse.
Photo Jean-Claude Goret
Il parle aussi beaucoup avec chacun. En tant que défenseur, c'est un bonheur pour moi car j'apprends encore beaucoup à son contact. Il aime le beau jeu et nous force à jouer au foot: toujours repartir au sol, du gardien. Les entraînements, c'est du ballon et du jeu; énormément de possessions, chaque fois avec un thème. Quand il lui arrive de jouer avec nous, c'est encore lui le plus fort, et ce n'est pas une blague! Si je dois lui trouver un point à améliorer? Peut-être trop gentil? Pas le style à pousser une gueulante. Même pour exprimer son mécontentement, il va le faire calmement.
Frédéric DEBAISIEUX (coach de Molenbaix, P1): Fabien est certainement une référence dans le coaching provincial, tant pour ses compétences dans le domaine que pour ses qualités humaines. Un exemple à suivre et un réel plaisir de le retrouver dans des confrontations pour échanger nos points de vue.