C'est en 2011 que Patrick Billiet découvre pour la première fois Las Vegas, la mythique capitale du jeu. Depuis lors, et jusqu'à la crise sanitaire, il y passe ses vacances et y joue des tournois ("à notre budget, à savoir 150 à 200 dollars") en compagnie de son fils Christopher, 35 ans, avec qui il partage la passion du poker. Tous deux ont d'ailleurs eu l'honneur de défendre les couleurs de la Belgique, à Manchester (2018) et Vienne (2019)!
C'est à un maître du jeu que nous avons affaire. Parmi les nombreux tournois disputés par Patrick (Maroc, Tchéquie, Italie, Autriche, Irlande!), on épinglera la deuxième place décrochée au championnat du monde amateur (Manchester, 2017).
Parcours d'entraîneur
- SK Renaix, 10 ans, dont 5 chez les jeunes, à partir des U15 jusqu'aux Espoirs. Ensuite T2 de l'équipe Première, en D3 et D2, avec Bart Van Renterghem (2007-octobre 2009), Dirk Geeraerd (2009-10) et Pierre Neubert (remercié dès la mi-septembre 2010). T1 d'abord intérimaire (10 points sur 12) puis nommé, avec Grégory Voiturier comme adjoint, et à son tour remercié en janvier 2012
- RSC Templeuvois, Promotion Nationale, 2013-14, avec Manu Dubois comme adjoint. Démission pour raisons personnelles en février
- AC Anvaing, P2 puis P3, 2014-16, toujours avec Manu Dubois
- break pour raisons de santé
- Entente Velaines Enclusienne, équipe B en octobre 2018, puis équipe A en fin de saison (descente en P4 et remontée dès la saison suivante).
- Patrick devrait donc entamer sa 3e saison chez les Vert et Noir, en espérant que celle-ci soit enfin épargnée et puisse se dérouler normalement...
Similitudes
Notre postulat de départ étant de chercher à établir des liens entre le joueur de poker et l'entraîneur de foot, nous nous sommes d'abord penché sur les principales qualités requises autour d'une table de jeu, et avons demandé à notre interlocuteur dans quelle mesure il s'y reconnaissait une fois sa veste coach enfilée.
Comme vous pourrez le découvrir en parcourant les dires de Patrick, le parallélisme est frappant...
Concentration
"Au poker, quand ce n'est pas son tour de jouer, on prend des infos sur l'adversaire. Cela réclame une concentration constante. En fin de tournoi, je ressemble d'ailleurs à un zombie. Au foot, tu dois être capable d'assurer l'analyse du match en même temps le coaching."
Préparation mentale
"Les joueurs sont sensibles au soin apporté à l'approche mentale. Dès le vendredi soir, le quinze leur est communiqué, et ils savent que, sauf contre-temps, les onze premiers cités commencent. Je préfère en effet que les réservistes aient le temps de digérer une éventuelle déception et de se préparer psychologiquement à leur rôle de joker. Le lendemain, mes pensées se tournent progressivement vers le match et l'adversaire. Le dimanche, c'est moi qui cuisine à la maison, histoire de m'occuper l'esprit autrement. Une fois dans la voiture, c'est reparti. Pour un match à 15 heures, le rendez-vous est fixé à 13h30. Pas de musique au vestiaire, histoire de favoriser la focalisation et, pour y contribuer encore davantage, Yaëlle Midavaine (ex-Templeuve) est là pour masser les joueurs; à 14h, je donne ma théorie, puis chacun poursuit sa préparation comme il l'entend, avant un petit toro pour relâcher la pression et, à 14h20, le capitaine lance l'échauffement."
Observation
"Le jeu exige en effet une observation très attentive de l'adversaire. Je suis alors totalement absorbé dans celle-ci, l'avantage pour un coach étant de pouvoir prendre des notes, contrairement à la table où tout se joue dans la tête."
Capacité d'analyse
"Ces notes concernent le système de jeu adverse, quelques observations individuelles, particulièrement sur les joueurs qui me tapent dans l'oeil et que je pourrais éventuellement approcher par la suite - mais j'attends toujours de les avoir vus jouer deux fois -, et bien sûr les phases arrêtées."
Esprit de compétition
"L'adrénaline est très importante dans les deux cas. Cela peut paraître difficile à croire, mais pendant les premières minutes d'un match ou d'une partie de poker, je suis tremblant. Ce n'est qu'une fois la première action développée ou la première main jouée, que je me plonge dans l'action. À la table, je vais tout faire pour regagner l'argent investi. Au foot, tu fais 15 heureux le vendredi, 11 le dimanche, c'est un fameux challenge à chaque fois! Tu es attendu au tournant par ceux qui ne sont pas alignés et qui ne manqueront pas de voir dans une contre-performance la preuve qu'ils auraient dû l'être."
© Fabrice Gevaert
Maîtrise des émotions
"Au poker, je ne pense pas devoir trop préciser pourquoi il vaut mieux masquer ses émotions, ce qui explique que certains portent des lunettes noires et un foulard pour cacher la carotide. Au foot, je veille à couper mentalement dès la fin du match pour rester calme, et ne rien dire de préjudiciable aux joueurs. Nous parlerons calmement le mardi. Quand le résultat est favorable, je les laisse savourer entre eux; si nous avons perdu, je suis davantage présent à leurs côtés au vestiaire."
Patrick se dit boosté sur ce plan par son fils, qui lui a fait découvrir l'application Petit Bambou (www.petitbambou.com) pour développer la méditation de pleine conscience.
Audace
"Lors de la saison dernière, notre première mi-temps était souvent mauvaise. Je me devais alors de les titiller gentiment (sic), en faisant par exemple remarquer à l'un ou l'autre que son rendement n'était pas celui attendu. Force est de constater que les deuxièmes mi-temps étaient souvent nettement meilleures. Sur le plan tactique aussi bien sûr, lorsque la situation le nécessitait, le coup d'audace pouvait consister à jouer à trois, voire deux derrière, pour finir avec quatre attaquants."
Capacité de remise en question
"Le mardi, j'écoute les joueurs, et je prends le temps de bien analyser leurs interventions. Se remettre en question, c'est admettre que ses joueurs peuvent avoir raison, et le démontrer par une nouvelle mise en place le jeudi sur le terrain."
Soif d'appendre
Patrick nous a révélé une anecdote particulièrement révélatrice de son insatiable désir d'apprendre: il est incapable de regarder le moindre match à la télévision sans son carnet et son stylo. Pour noter toutes les observations intéressantes: "Quand je vois par exemple un coup-franc ou un corner original, je le schématise directement sur papier pour tenter de la reproduire par la suite."
Faculté d'adaptation (capacité à varier son jeu)
"C'est le cas dès que je repère un visionneur en bord de terrain. Lorsque nous préparerons l'affrontement face à l'équipe pour laquelle il travaille, je vais d'office modifier nos plans, entre autres nos automatismes sur les phases arrêtées. Comme à la table, où il vaut mieux cacher son jeu et ne pas toujours miser identiquement avec des cartes semblables; les adversaires auraient vite compris"
Condition physique
"Au risque de vous surprendre, le poker exige de soigner sa forme physique. Nous pouvons jouer 10 à 12 heures par jour. En ce qui me concerne, je dois descendre à 74 kg pour entamer un tournoi. Je sollicite pour ce faire les conseils d'une diététicienne. Qui guide mon régime, avec beaucoup de fruits et une dissociation protéines - féculents."
Les tournois ayant généralement lieu début juin, cela permet à Patrick d'être fit au moment d'attaquer la préparation avec son groupe: "Et c'est tout de même plus valorisant d'arriver affûté face à ses joueurs."
Le dessous des cartes
Grégory Voiturier, qui fut son T2 à Renaix, nous parle du coach qu'il a eu l'occasion de côtoyer de près:
"Patrick est avant tout une bonne personne, quelqu'un de humble, qui n'aime pas le conflit. Pour les théories d'avant-match, tout était minutieusement préparé, dans le détail. Il était également top pour dispenser les entraînements, et savait mettre beaucoup d'animation dans les séances. S'il faut mettre un bémol, peut-être trop gentil avec certains joueurs? Quoi qu'il en soit, j'ai vraiment aimé travailler à ses côtés. Petite anecdote qui nous avait bien fait rire tous les deux: quand il m'a raconté qu'un parent de joueur était venu le trouver pour lui expliquer que la psychomotricité (transmission cerveau-jambes) n'était pas assez rapide, et que partant de là les conduites de balle et dribbles n'étaient pas top... Je rappelle que c'était en D3 quand même..."
"Motivé comme jamais" (Hadrien De Cat)
Comme nous avons pu l'entendre dans la vidéo ci-dessus, le coach velainois ne tarit pas d'éloges à l'égard de son capitaine, Hadrien De Cat. Le témoignage de celui-ci permet de sentir à quel point ce respect est réciproque:
"J'ai connu plusieurs entraîneurs pendant mon aventure velainoise. Suite à mes études (Hadrien est prof d'éducation physique), je ne portais plus trop d'attention au fait d'être aligné en équipe première; j'envisageais même de stopper le foot. Mais lorsque Patrick est arrivé, il a su me rendre une motivation comme je n'en avais jamais connu auparavant! À ses côtés et en tant que capitaine, j'ai l'impression d'évoluer à un niveau national... Par ses idées et ses décisions, il est parvenu à changer la mentalité du club et à lui insuffler une ambition nouvelle."
Deux épisodes ont particulièrement marqué Hadrien:
"Le premier, lorsqu'il est arrivé pour relayer l'entraîneur de l'équipe B. À la cool, très à l'écoute, il a réussi à trouver un style de jeu correspondant à cette équipe qui s'est soudainement mise à gagner tous ses matchs. Ensuite, lors de la première réunion avec tous les joueurs, il a commencé son speech en déclarant "Nous allons être champions, ça je vous le garantis!" J'étais scotché mais j'ai tout de suite senti qu'il était sûr de lui et qu'on allait y arriver. Depuis, je le soutiens le plus possible dans ses projets, et je reste attentif à tout ce qu'il amène au groupe et au club. J'ai une confiance aveugle à son égard, je ne peux que me donner à fond pour lui quand je vois tout ce qu'il m'apporte sur le terrain et en dehors."
Et Hadrien de nous préciser la méthodologie de son coach:
"C'est d'abord un passionné, qui a su instiller sa propre marque à l'équipe, en exploitant les qualités de tous les joueurs, pour que chacun contribue à la réussite collective. Il ne laisse personne de côté. Un de ses points forts est qu'il maîtrise différents exercices très ludiques, ce qui motive tout le monde à venir s'entraîner, même en hiver. Je n'avais jamais connu ça! Il a une méthode qui prend tout son sens: les toros en début de séance, ou le jeu de la latte à la fin pour un bac de bière. Tout cela noue des liens très forts et favorise la bonne ambiance, si précieuse pour la santé du groupe. Enfin, il a ses fiches techniques en semaine pour la préparation et le dimanche avec des infos précises sur l'adversaire. Patrick est très exigeant, parfois trop, mais on ne peut que le lui rendre."
Exigence que confirme le désidérata que le coach avait soumis à son groupe d'une troisième séance hebdomadaire pour mettre spécifiquement au point les automatismes sur coups de pied arrêtés.
Bilan et projets
"Je suis très fier de ce que j'ai pu réaliser, rapporte Patrick sans forfanterie aucune. J'ai beaucoup donné au football. Ouvrier à pauses, j'ai sacrifié des temps de vacances familiales, prenant congé certaines après-midi pour pouvoir dispenser les entraînements. Et malgré un métier physiquement fatigant, je suis toujours parvenu à assumer les contraintes liées à la fonction: aller voir les Espoirs le vendredi, scouter les adversaires, préparer les entraînements, les matchs, etc. D'ici trois ans, je devrais bénéficier de ma retraite (Patrick est aujourd'hui âgé de 57 ans), et j'ambitionne alors de me donner à fond dans le coaching. Pourquoi pas reprendre un poste de T2, ou une équipe de jeunes en Nationale? J'ai aussi pour projet d'organiser des stages de perfectionnement pour les jeunes; ils sont d'ailleurs déjà prêts, et seule la pandémie nous a empêchés d'en organiser une première session avec Damien Van Driessche à l'AC Anvaing. Ce n'est que partie remise, espérons-le."
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