Les succès sont agréables, mais ils sont souvent moins riches d'enseignements que les échecs (Charles PÉPIN, Les vertus de l'échec, p.18)
"Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j'apprends." Cette formule de Nelson Mandela, désormais connue de tous, illustre le potentiel de leçons à tirer d'une défaite.
Dans un ouvrage intitulé Le mental des coachs, manager la réussite sportive, Hubert RIPOLL, professeur de psychologie à la Faculté des sciences du sport de l'Université d'Aix-Marseille, rassemble les témoignages de grands coachs de sports individuels et collectifs. Il y développe notamment un chapitre intitulé "Renaître de ses échecs". C'est de ce sujet que nous allons traiter, plusieurs coachs de notre foot provincial ayant accepté de l'agrémenter de leurs réflexions.
Voici tout d'abord, en guise d'entrée en matière, quelques extraits de l'ouvrage en question :
"Le coach ayant une bonne estime de soi assumera un échec alors que celui ayant une faible estime sera dans le déni et attribuera celui-ci à ses athlètes." (p.204)
"Lorsque ton athlète fait une contre-performance, il faut toujours positiver et construire dessus pour corriger. Le plus délicat est de rétablir la confiance en soi que l'échec a entamée." (Maurice HOUVION, ancien entraîneur d'athlétisme, cité p.209)
"Le principal danger est que l'échec affecte la cohésion du groupe. Il faut donc débriefer ensemble et le coach doit analyser, expliquer et assumer tout en laissant la parole aux joueurs." (p.211)
Les nuits difficiles
L'écrivain italien Dino Buzzati ne parle pas de football dans son livre ainsi intitulé, mais il aurait pu, tant nos coachs s'accordent sur la difficulté, voire l'impossibilité à trouver le sommeil un soir de défaite.
Toute ma vie a oscillé entre l'amour de la victoire et le mépris de la défaite. Je suis un passionné et cette passion ne s'éteint pas
(Arsène WENGER, Ma vie en rouge et blanc, p.10)
C'est bien cette passion, avec tous les excès qu'elle comporte, qui explique l'amertume évoquée par nos coachs.
"Dois-je préciser que je râle? demande Jean-Do VESSIÉ, le coach de Templeuve (P2). L'humeur n'est pas bonne, pour dire le moins. Et je ne dors pas bien dans ces cas-là, refaisant le match dans ma tête, ressassant les erreurs commises."
Johan DEVOS (Isières, P2) connaît les mêmes désagréments: "Je vis toujours aussi difficilement la défaite. C'est pénible pour mes proches car je suis très énervé, renfermé sur moi-même et pas très causant! La nuit est souvent courte et mon sommeil léger: je cogite, je revis le match, j'analyse tout; il m'arrive alors régulièrement de me lever dès 5 heures."
"La nuit est mauvaise, soutient Sébastien TERLIN (Beloeil, P1). Je prends beaucoup sur moi et me remets en question, retournant le problème dans tous les sens, me demandant pourquoi je n'ai pas fait ci ou ça. Ce qui explique que je ne dorme quasi pas, même si ça va déjà mieux qu'il y a 2 ou 3 ans."
Avec le temps, il deviendrait donc possible de relativiser davantage. C'est en tout cas ce que nous dit Jonathan KRYS (Péruwelz, P1): "L'expérience me permet désormais de prendre du recul. Certes, je ne rentre pas encore serein après une défaite, mais rien de comparable à mes débuts où j'étais capable de m'enfermer dans une pièce et de ruminer des heures durant, avant de vainement chercher le sommeil...".
Fabrice LELEU (Montkainoise, P3) nous parle avec humour de ses après-matchs: "Je vis mieux la soirée qu'à mes débuts, où je prenais ça trop à coeur. Avec l'expérience, je bois un verre à la buvette, je discute avec mon T2, j'écoute tous les supporters-entraîneurs qui étaient autour du terrain (clin d'oeil). Une fois chez moi, je me consacre à la famille."
La coupure émotionnelle est du même ordre chez Yves MOREAU (Ellezelles, P3): "Rien de tel que de retrouver femme et enfants pour évacuer la frustration."
Jamais à chaud
Éviter les réactions à chaud dans les minutes ou heures qui suivent un revers relève de la plus élémentaire déontologie:
"À chaud, je ne dis rien, confirme Jean-Do VESSIÉ. Si ce n'est peut-être la nécessité de se remettre en question."
"Je ne rentre pas tout de suite dans le vestiaire, indique pour sa part Seb TERLIN. Trop risqué eu égard à la psychologie variable des joueurs. Certains ont un mental plus faible, il ne faudrait pas les "tuer" devant le reste du groupe. Je préfère d'abord discuter en staff, avec Luc (PAUL), Jacques (GUILMOT) et notre manager Christophe (DEBAISIEUX)."
Place à l'analyse
Gérard HOULLIER empruntait au poète Rimbaud l'expression "aubes navrantes" pour figurer la mélancolie d'un lendemain de défaite. Mais si l'amertume est toujours bien présente en arrière-fond, les esprits se tournent déjà vers la suite. Cette ambivalence se vérifie dans le discours de Johan DEVOS: "Le lundi au boulot est parfois compliqué; j'essaye de faire la part des choses, mais je suis encore focus sur le match à de nombreux moments de la journée. Entre les coups de téléphone et les messages échangés entre coachs, les nouvelles des joueurs, l'analyse pour le lendemain est en cours dans un coin de ma tête. Je consulte aussi toute la presse régionale pour y dénicher de précieuses informations en vue du prochain week-end."
"C'est souvent à froid, le lendemain, que j'analyse avec le plus d'objectivité, ajoute Yves MOREAU. J'écris tout ce qui me revient au fur et à mesure, et je complète avec les notes de mon délégué."
Sébastien TERLIN recourt pour sa part à la vidéo: "Lorsque notre match est filmé, ce qui est d'office le cas à domicile, je le décortique, pour en retirer les points qui seront retravaillés le lendemain, tout en poursuivant les échanges téléphoniques avec mes adjoints."
Débriefing
Pour assurer la transition avec le match suivant, éliminer les stigmates de la déception, et se disposer à reprendre le travail dans les meilleures conditions, il est vivement conseillé d'échanger avec le groupe. Ces séances collectives d'évaluation sont bien ancrées dans les pratiques de nos entraîneurs.
Si Seb TERLIN attend parfois le jeudi "pour recadrer", la plupart de nos coachs envisagent cette discussion le mardi. Yves MOREAU nous précise sa manière de procéder:
"Nous faisons d'office un débriefing le mardi. Les joueurs donnent chacun à leur tour un point négatif, sur lequel je rebondis ou pas. Je vais "chercher" les plus timides, car j'aime que chacun donne son avis. Idem pour les points positifs. Et on synthétise. J'essaie de ne pas dépasser les 15 minutes. Ces temps d'échanges sont importants à mes yeux, tant pour le sportif que pour la cohésion de groupe."
En insistant sur l'indispensable pondération du bilan dominical: "Tout n'est pas noir parce qu'on a perdu, comme tout n'est pas top lorsqu'on a gagné."
Jean-Do VESSIÉ souligne lui aussi le fait qu'il ne doit pas s'agir d'un monologue: "On fait parler le groupe, pour identifier ce qui n'a pas été, afin de ne plus commettre les mêmes erreurs."
Johan DEVOS procède à peu de choses près de la même manière: "L'analyse du match a lieu avant l'entraînement, sur le terrain ou au vestiaire, tout dépend de la situation et des conditions climatiques. J'insiste sur les points positifs, les phases négatives à corriger et l'objectif de la semaine. Le mardi commence par un décrassage, ce qui me permet d'encore leur parler individuellement."
Une nécessaire remise en question
Il n'y a pas d'expérience plus instructive que la défaite (Pep GUARDIOLA)
Seb TERLIN abonde dans le sens du célèbre tacticien espagnol: "C'est toujours instructif. On ne peut pas rester sur sa déception, mais au contraire chercher le pourquoi du comment, voir quels sont les points à travailler, notamment sur le plan mental: savoir tenir un résultat, renforcer le coaching et le leadership sur le terrain, etc."
"Même si une défaite est un échec en soi, elle doit permettre de tirer des enseignements positifs, observe pour sa part Jean-Do VESSIÉ, avant d'ajouter une condition sine qua non: "C'est par une remise en question individuelle et collective que le groupe peut grandir et mûrir."
"La défaite fait partie du sport, ajoute Johan DEVOS. L'important est ce que l'on va faire après celle-ci. Comment va-t-on réagir? Quels aménagements va-t-on envisager? Tant de choses à en déduire afin de retrouver la bonne dynamique."
Jonathan KRYS y voit lui aussi l'occasion d'un nouveau départ: "On ne se laisse pas abattre et on repart de plus belle. Il y a toujours du positif à retirer d'une situation négative. Cela permet de grandir, de s'enrichir, de prendre de l'expérience. Pour autant que l'on accepte de se remettre en question. La semaine s'annonce alors constructive, avec la mise en place de solutions nouvelles et le contact avec les joueurs."
© dhnet.be
Le spectre de la spirale négative
Le football n'échappe pas à la loi des séries. Jean-Do VESSIÉ nous en livre un exemple frappant: "Lors de la saison 2019-2020, nous avons terminé le premier tour à la première place. Lorsque le championnat a été interrompu par la pandémie en mars, nous étions neuvièmes à 14 points de Biévène... Avec un bilan comptable catastrophique de 3 points sur 21, plus aucune victoire, et en guise de dernier match, une claque retentissante à l'Union de Tournai (5-1) ! Ce n'est vraiment pas facile à vivre, on se pose un tas de questions, le groupe perd la confiance."
© Lavenir.net
Il n'est guère d'autre solution dans ce cas que de travailler encore et encore: "Surtout psychologiquement. Retrouver du mental et reprendre du plaisir sur le terrain."
Et avec le recul, trouver une piste d'explication? "Il y avait un problème de mentalité dans le chef de certains. Des clans s'étaient formés, et la remise en question faisait défaut à plusieurs."
D'où l'importance cruciale de veiller à cette donnée lors du recrutement. Ce n'est pas Jonathan KRYS qui nous démentira, lui qui a vécu semblable mésaventure: "En quelque sorte victimes de notre succès - 3e place et tour final en mai 2019 -, nous avons recruté en oubliant un peu de cibler des profils qui correspondaient aux valeurs du club. D'où des résultats en dents de scie, une ambiance qui se dégrade et des tensions qui apparaissent. L'essentiel est d'en prendre conscience pour ne pas reproduire les mêmes erreurs et continuer à avancer. Cette péripétie m'a fait grandir dans le coaching et m'a apporté indirectement plus d'expérience pour le futur."
Sébastien TERLIN nous livre une précieuse recommandation pour traverser ce genre de période mouvementée: "Ne surtout pas tomber dans la précipitation et vouloir tout changer (joueurs, système...). Il est vrai que lorsque c'est toujours le même problème qui revient, il peut être pénible de devoir constamment taper sur le même clou, mais l'expérience m'a appris à dépasser l'émotion du moment. Il y a 3 ou 4 ans, nous avons pris quelque chose comme 9 points sur une tranche, avant d'enchaîner avec un 33 sur 45... Une bonne analyse et une ligne de conduite stable finiront par porter du fruit: laisser du temps à certains joueurs et donner la chance aux automatismes de s'installer. Bien sûr il faut encore que les dirigeants vous maintiennent leur confiance et sachent faire preuve de patience."
© notele.be
Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Cette formule inspirée du philosophe Nietzsche peut donc parfaitement s'appliquer à la pratique du coaching. Johan DEVOS nous décrit une saison très compliquée mais en même temps riche en enseignements: "En première provinciale avec Lessines (RASLO), nous sommes descendus avec 28 points l'année qui a suivi le sacre, dans une série avec 5 descendants. À l'époque, les tuiles s'étaient accumulées: la perte de notre gardien Anthony MOLS, transféré de Soignies, et qui n'a malheureusement pas joué un seul match de championnat. S'en est suivi le renvoi en octobre de notre solide attaquant Rachid BOURKHA pour raisons disciplinaires, avant que Serge DOYA ne nous quitte en janvier pour d'autres horizons... Et par-dessus tout, les problèmes financiers commençaient à se faire sentir. Nous avons tenté de retarder l'échéance le plus longtemps possible et mon poste n'a jamais été remis en question. J'étais tout jeune entraîneur et cette âpre expérience m'a servi comme jamais pour la suite de ma carrière. Devoir gérer un vestiaire comme celui-là, avec tous les problèmes rencontrés, m'a indéniablement rendu plus fort."
© Geoffrey Devaux
Passé chez les adultes au FC Ellezelles après 9 saisons chez les jeunes de l'Excel Mouscron, Yves MOREAU a lui aussi déjà expérimenté les hauts et les bas d'une compétition: "Lors de notre première saison en P3, après avoir très bien commencé, nous avons traversé une longue période très pauvre en points pris. Les blessés se multipliaient, nous avons raté 5 pénaltys consécutivement, une vraie série noire. Heureusement, nous sommes restés soudés, nos débriefings étaient constructifs, nous avons continué à bien bosser en semaine et la cohésion du groupe nous a permis de nous sauver. Comme mes joueurs, j'en suis sorti plus fort."
Fabrice LELEU peut également attester de la nécessité absolue de l'esprit de corps en cas de turbulences: "À l'Enclus (FC Mont de l'Enclus, club fusionné avec la JES Velaines), nous ne nous sommes sauvés qu'au tour final. C'est très compliqué d'accumuler les défaites, les joueurs se posent beaucoup de questions, doutent de leurs capacités. C'est là qu'un coach doit réagir. Si nous nous sommes sauvés, c'est parce que nous étions solidaires. À Kain, nous sommes descendus de P2 en P3, mais j'ai toujours gardé la tête haute et suis parvenu à tenir mon groupe jusqu'au bout même si nous étions condamnés depuis plusieurs semaines. Aujourd'hui, je poursuis ma mission avec ces jeunes, et nous avons l'ambition de retrouver l'échelon supérieur. Cette épreuve a développé mon sens du dialogue et m'a appris à être toujours derrière mon groupe, car nous ne devons faire qu'un."
S'il est des périodes où tout sourit à une équipe, et où les bons résultats s'enchaînent comme par enchantement dans une spirale positive, la défaite a ceci de bon qu'elle peut réveiller un groupe et, à partir d'une saine auto-critique, être le déclencheur d'un nouvel élan. Tant d'impondérables peuvent décider du sort d'une rencontre qu'il convient de toujours garder la mesure. Sur le moment, c'est loin d'être facile, les émotions prenant le dessus. Mais le mécanisme de résilience se met en marche dès l'entrée dans la phase d'analyse et la perspective du match suivant.
Il est certes commun d'entendre dire de quelqu'un qui fait des bons résultats que "c'est un bon coach!", mais il est sans doute plus vrai d'affirmer que la capacité à garder la confiance de son groupe dans une mauvaise passe est davantage le signe d'un travail de qualité.
Nous conclurons ce reportage avec une citation appropriée de Sir Bobby Robson: "Si vous avez la ténacité de passer à travers les temps difficiles, alors vous serez certainement un bon manager."
Pour la part, je dirais un bon leader plus qu'un bon manager. Se remettre en question aussi devant les joueurs peut les pousser à en faire de même. Les joueurs sont demandeurs d'un débrief du match. Indispensable. Avec points positifs et points à améliorer (je n'utilise pas le terme négatif). Cette saison, j'ai voulu introduire un leadership participatif en désignant 2 joueurs qui devait organiser et présenter 1 exercice pour l'entraînement par rapport à un problème du match précédent. Je pense que ça peut être intérressant à plus d'un titre mais je n'ai pa pu m'en faire une opinion, pas encore
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