N'est pas coach qui veut. C'est une vocation. Une passion. Certes source de nombreuses satisfactions, et c'est heureux, mais aussi dévorante! Felice Mazzu allait jusqu'à déclarer dans les colonnes de L'Avenir (édition du 6 novembre 2021) que "le métier d'entraîneur est destructeur". Alors, bien sûr, la pression à laquelle nous sommes soumis dans nos séries provinciales n'a aucune commune mesure avec celle du haut niveau, mais le coach régional n'a pas non plus les moyens humains et matériels dont disposent les staffs pros. Quoi qu'il en soit, comme vous pourrez le lire ci-dessous, les témoignages sont unanimes pour reconnaître que la fonction nécessite un enthousiasme à toute épreuve...
Une passion usante
Écoutons d'abord le nouveau coach chiévrois, Paul-Henri Deroubaix, qui établit un rapprochement pertinent avec le métier d'enseignant. Une profession qu'a par ailleurs exercée Felice Mazzu que nous citions en exergue, avant de devenir l'entraîneur à succès qu'il est aujourd'hui. De son passé de professeur d'éducation physique, le coach carolo retire deux valeurs fondamentales: l'amour des élèves - que l'on observe maintenant avec ses joueurs - et le respect mutuel.
"Je conçois le coaching comme une forme d'enseignement, et enseigner nécessite une implication qui demande évidemment beaucoup d'énergie. D'abord physique, car de même qu'en classe, je ne m'assois pas, il s'agit de pouvoir être proche de ses joueurs. À notre échelle provinciale, nous sommes des préparateurs physiques; il est donc nécessaire d'impliquer notre corps. Si le coach veut faire de ses joueurs des combattants, il doit l'être en premier et transmettre son énergie au groupe. Le coach doit aussi être un préparateur mental, qui subit par ailleurs une pression permanente. C'est selon moi dans cette fatigue mentale que se situe la plus grande source de perte énergétique. Cette passion est usante et il faut être solide pour durer. Si je devais illustrer cet aspect avec un coach de haut niveau, je citerais Diego Simeone, qui est trempé de sueur et exténué à la fin de ses matchs, tant il vit ceux-ci intensément. Un véritable modèle pour moi d'implication physique et mentale."
Puisque Paul-Henri fait expressément référence au coach de l'Atletico, nous pouvons le citer : "Une de mes phrases préférées est que l'effort ne se négocie pas." (Diego Simeone, Mes secrets de coach, p.112)
Gwen Rustin fait lui aussi un parallèle avec le milieu professionnel: "Il faut aussi faire face au stress des résultats, aux nombreuses sollicitations des joueurs, du Comité, de la presse. À condition de le faire sérieusement, c'est un véritable travail à temps plein."
J7 et H24
Promu dès l'âge de 30 ans à la tête des Étoilés d'Ère B en P3, Thomas Vandecasteele s'est très vite rendu compte de l'évolution par rapport au statut de joueur: "En début de semaine, on fait l'analyse du match, on s'entretient donc avec le T2, dans notre cas aussi avec l'entraîneur de la P2 pour débriefer les prestations individuelles si des joueurs sont descendus. Cela fait pas mal de coups de fil. Je prends personnellement beaucoup de notes après les entraînements: les absences et leurs motifs, l'implication dans la séance, etc. Viennent ensuite la réflexion mentale sur la façon de jouer de l'adversaire et la tactique à adopter. J'essaye à partir du moment où la sélection est faite le vendredi soir de décrocher le samedi."
"À notre niveau, on n'a le plus souvent que deux entraînements et un match par semaine, et pourtant je suis occupé tous les jours", confirme Giovanni Seynhaeve. "Planification des séances, échanges avec les adjoints, les joueurs, le staff de P3. Personnellement, c'est le samedi que je vais à la pêche aux infos sur l'adversaire et que je prépare ma théorie. Il arrive souvent que dans mon lit, face à la télé ou un bouquin, je ne sois pas vraiment là, l'esprit absorbé par un exercice ou une option tactique à déterminer. On est pris en permanence et ça bouffe une énergie folle, sans compter que quand la saison touche à sa fin, on doit directement enchaîner sur la préparation de la suivante..."
Jusqu'à l'obsession
Cette préoccupation tournant à l'idée fixe dont témoigne le coach luingnois se retouve dans le vécu de Philippe Labie:
"La nuit qui précède le match, raconte le coach de Thumaide, je répète de nombreuses fois mon discours. Le dimanche, impossible de manger, jusqu'au dernier moment je me demande si j'ai fait la bonne compo et si mon discours va percuter. Le lundi, je fais un petit résumé de notre match, j'analyse les feuilles de match des adversaires, je demande des infos aux autres coachs. J'arrive entre une heure et une heure et demie à l'avance pour chaque séance, le temps de tout préparer pour mettre les joueurs dans les meilleures conditions. Avec le T2, on doit penser à tout. La séance sera-t-elle productive, va-t-elle profiter aux joueurs? La fonction est usante physiquement mais surtout mentalement et psychologiquement car elle nous ronge de l'intérieur. On pense, on boit et on mange foot H24. Après un match, on est vidé, toute la pression redescend et la nuit, on revit les phases dans sa tête une multitude de fois, on se pose mille et une questions: a-t-on aligné le meilleur onze, a-t-on suffisamment prêté attention aux réservistes, notre coaching a-t-il été bon,...?"
Insomnies ou... sommeil profond!?
La première campagne de Thomas Vandecasteele dans le costume d'entraîneur n'a pas été des plus tranquilles. Il a pu découvrir que, pour un coach, il n'est jamais facile de trouver le sommeil après une défaite: "La saison dernière, il n'était pas rare que la nuit du dimanche au lundi soit la plus mauvaise de la semaine. Quand les résultats ne sont pas bons, on se demande ce qu'on aurait dû faire de mieux, à quel moment on aurait pu intervenir avant ou pendant."
Bryan Losterman abonde dans le même sens; le coach lessinois allant jusqu'à généraliser à une insomnie chronique: "Les soirs et les lendemains de match sont les moments les plus énergivores pour moi. Victoires ou défaites, ça cogite: qu'a-t-on bien fait, pas bien fait, ce qu'on peut améliorer la prochaine fois, cela fait quelques heures de sommeil en moins, qui se répercutent sur le reste de la semaine..."
Paul-Henri Deroubaix évoquant pour sa part l'origine neurologique de cet endormissement problématique: "Le match est synonyme de poussée d'adrénaline et la nuit qui suit m'est souvent difficile et peu réparatrice. Quel que soit le résultat, je refais le match, et cela entraîne une surconsommation de mon stock énergétique."
Maniant le second degré, Laurent Debeurne prend un peu le contre-pied de nos insomniaques: "Il y a d'abord le travail de la semaine, avec tous ses aléas: travail, blessures, extrasportif, "rhume", empêchements de dernière minute et j'en passe. Voilà le quotidien du coaching en 2022. Les mentalités ont changé. Tout cela réuni fait que la fonction pompe beaucoup d'énergie, surtout mentale. Pour ma part, je dors bien le dimanche soir, voilà au moins un point positif du côté énergivore."
Un régulateur qui pompe de l'énergie
Que nos lecteurs non-avertis ne s'y trompent pas: le coaching n'est pas un enfer! Il génère du plaisir, de la confiance en soi, des émotions fortes, de solides relations humaines et bien d'autres jouissances encore. Il peut servir d'exutoire aux soucis d'ordre privé ou professionnel. Voici à ce propos le témoignage de Benoît Brasseur, qui exerce à Pommeroeul en P3B:
"Les lundis et mercredis soirs, ce sont les préparations d'entraînement, en fonction des observations en match et des objectifs recherchés. Le mardi et le jeudi, il faut donner de l'impulsion à ton groupe, pour que la séance soit la plus tonique et la plus divertissante possible. Si tu es fatigué ou un peu moins bien, les joueurs ne doivent pas le sentir. C'est à nous de faire en sorte que l'on travaille dans la bonne humeur. La transition entre le bureau et le stade est directe. Installer le matériel, le ranger à la fin, discuter avec l'un ou l'autre car le psychologique prend de plus en plus d'importance aujourd'hui, se doucher et boire un verre à la buvette, cela fait quelques heures... Puis arrive l'approche du match, auquel on pense toute la semaine. Le dimanche matin, mon épouse sait que je suis déjà dedans: préparer les phases arrêtées, prévoir différents scénarios, un plan B... Suite à la tension nerveuse de la rencontre, on est vidé le soir, mentalement et psychologiquement.
Benoît fustige ses hommes et tente de leur transmettre une énergie
La fonction est donc très énergivore, mais elle est en même temps un régulateur: par rapport au boulot, elle permet d'évacuer certaines choses. Et vice-versa, quand les résultats sont moins bons et que la période est difficile, on cherche l'équilibre dans le boulot ou la famille. Les trois sont intimement liés."
La gestion de groupe
Lorsque nous lui avons posé la question de ce qui lui coûtait le plus d'énergie dans sa mission, aujourd'hui à la JS Meslin GM, Jonathan Labie a évoqué comme ses collègues les préparatifs en tous genres, le stress de la compétition, ou encore les sollicitations en matière de communication (voir ci-dessous). Il nous livre également une réflexion intéressante sur la charge de team-manager:
"Il faut pouvoir tenir sa place, fixer une ligne de conduite et la faire respecter, tout en manifestant une certaine empathie. Cela exige une perpétuelle remise en question de nos agissements. Il n'est pas simple de combiner avec bon nombre de personnalités différentes dans les ambitions, le tempérament, le vécu... Tout cela dans une société où les gens sont de plus en plus exigeants avec leur entourage, mais pas nécessairement avec eux-mêmes... C'est aussi ce qui fait la noblesse du management, je pense."
La sélection
"Un vrai crève-coeur", nous confiait récemment Julien Deconinck. Le coach herseautois illustre cette obligation de choix qui peut aller jusqu'à torturer l'esprit :
"C'est surtout la gestion humaine qui demande de l'énergie, avec les garçons qui ne jouent pas à l'instant T. On a aujourd'hui des noyaux qui tournent à minimum 22 joueurs, ça en laisse forcément sur le côté. Il faut leur faire accepter qu'il y ait des rotations chaque semaine, ce qui demande énormément de temps. Sans compter les préparations d'équipe avec le staff."
Yves Moreau évoque lui aussi ce côté pile de l'indispensable émulation dans un noyau. Le coach ellezellois rappelant comme Julien tout le soutien que l'on peut obtenir de ses adjoints: "Faire des déçus chaque semaine prend pas mal d'énergie, même si c'est une volonté délibérée pour pouvoir faire des choix. Celui qui ne supporte pas cette pression ne doit plus coacher. La concurrence est indispensable pour progresser, mais devoir laisser sur le côté des gars méritants ou d'excellente mentalité, c'est quelque chose qui me travaille aussi, même si ça fait partie de la fonction. Heureusement, j'ai la chance d'avoir Jason Lorenzato avec qui je peux discuter de la sélection, c'est une aide précieuse pour moins se torturer l'esprit."
Le non-respect des consignes
Ayant connu le niveau national à Renaix et avec son expertise de la concentration dans les championnats de poker, Patrick Billiet sort de ses gonds quand il constate des failles dans le suivi des directives:
"Ce qui me fait bouillir pendant le match, c'est le manque d'application dans le positionnement sur les phases arrêtées. Si les positions ne sont pas respectées, on n'a pas toujours le temps de réagir pour les corriger. Quand on essaye d'établir un diagnostic précis sur l'adversaire, qu'on passe près d'une heure à préparer les consignes, bref qu'on fait son boulot à fond, c'est désolant de constater que l'exécution ne suit pas. J'ai été voir Thumaide à deux reprises, après coup je me dis que j'aurais pu faire autre chose de ces après-midis... Encore une anecdote pour illustrer le manque de concentration à la théorie. Ce dimanche, j'annonce les trois tireurs potentiels de pénalty. À la sortie du vestiaire, mon capi me demande qui tire les pénos... Amende!"
L'arbitrage
Même si cela fait partie des paramètres sur lesquels un coach n'a aucune prise, il est parfois difficile de ne pas se laisser désarçonner par les décisions arbitrales. Bien conscient que ce facteur ne permet pas à lui seul d'expliquer une défaite, Yves Moreau aborde cependant le sujet:
"Perdre un match suite à une erreur d'arbitrage flagrante, même si ce ne sera jamais la seule raison d'une défaite, peut être très frustrant. C'est un paramètre sur lequel on n'a aucune emprise. Ce n'est sans doute pas opportun de tirer sur l'ambulance vu la pénurie d'arbitres, nous avons tous vu passer les publications sur Facebook à ce sujet. Mais dans certains cas, l'incompétence ou, pire, la mauvaise foi, foutent en l'air le travail de toute une semaine. Nous devons alors maîtriser nos nerfs, prendre sur nous, nous exprimer avec respect, c'est très compliqué. Évoluant en P3, nous ne sommes pas toujours gâtés sur ce plan. Ce dimanche à Mouscron, nous en avons eu un excellent. C'est la deuxième fois que M. Cyubahiro nous arbitre, et c'est super plaisant. J'ai vécu malgré la défaite un match beaucoup plus serein."
Les difficultés de communication
Qu'il s'agisse des relations entre deux équipes premières ou de celles avec les dirigeants, une saine communication n'est jamais simple à mettre en place. Coach de la REAL B pour la deuxième saison consécutive, Bryan Losterman témoigne: "Le club m'offre la chance de travailler sur un terrain synthétique et avec des jeunes ambitieux qui montent en puissance. Par contre, avec la structure mise en place par le manager Denis Dehaene. la gestion d'équipe n'est pas simple. Entre la D2 et les Espoirs qui s'entraînent avec la P2 ce qui fait parfois monter le groupe à 28 joueurs, ce n'est vraiment pas évident de pouvoir travailler en suivant son inspiration personnelle. Mais le plus difficile, c'est sans doute la communication, qui n'est pas toujours optimale, car on n'est pas forcément toujours sur la même longueur d'ondes."
Les absences
Le coaching demande encore une grande faculté d'adaptation. Un entraînement planifié dans le détail sur papier est très régulièrement à revoir, plusieurs fois en quelques heures dans certains cas, avec des désistements de dernière minute. Un inconvénient qui pèse dans l'esprit d'Yves Moreau:
"J'ai beaucoup de mal avec les joueurs absents ou qui ne savant pas prévenir suffisamment tôt, par rapport aux préparations d'entraînement. Par un message sur le groupe, je demande que l'on annonce les éventuels empêchements pour le lundi soir. Mais malgré cela, certains peuvent parfois annoncer le mardi à 17h qu'ils ne pourront venir, et ce pour un motif prévisible... C'est quelque chose qui me bouffe car, dans les formes de match, j'aime bien de mettre les joueurs en place; de prévoir les oppositions en fonction de ce qu'on travaille. Qu'il y ait le moins d'improvisation possible dans l'entraînement, même s'il faut pouvoir rebondir. Mettre de l'énergie dans la préparation d'une séance et devoir changer par la faute de joueurs manquant de sérieux est frustrant. Je ne suis pas sûr que les joueurs se rendent toujours compte du travail en amont. Nous mettons des amendes, certes minimes, mais pour le principe."
Cette adaptabilité revient aussi dans le discours de Jean-Do Vessié. Le coach templeuvois rappelle que "préparer consciensieusement une séance d'entraînement ne se fait pas en cinq minutes. Quand on prévoit un nombre pair et qu'on se retouve évidemment en nombre impair, ou que la forme jouée nécessite deux gardiens et qu'on en a qu'un, c'est embêtant. Il faut alors compter quand c'est possible sur le coach de l'équipe B pour nous venir en aide. Et savoir renvoyer la balle à l'occasion. Ce qui implique une bonne collaboration et une émulation entre les deux groupes."