Fils de Gilles, ex-footballeur et entraîneur bien connu de la région, Bastien Letellier, 36 ans, s'est très tôt lancé dans le coaching. Il a déjà eu l'occasion de goûter à l'élite de notre foot national et, après cette expérience mouscronnoise, belle mais avortée, s'apprête à rebondir au Stade des Géants. Nous l'avons rencontré à l'aube de cette nouvelle saison, et avons discuté avec lui de préparation physique, ce qui pourra utilement inspirer nos coachs de provinciales.
Parcours de joueur:
- classes de jeunes effectuées à la Royale Union Sportive Tournaisienne. Bastien a connu la première année de la fusion des deux clubs tournaisiens dans ce qu'on appelait à l'époque les Juniors UEFA.
- en adultes: débuts à Leuze-Lignette (P3), avant des passages au Pays Blanc (P2), à Obigies (P3), Béclers (P2), pour terminer à Escanaffles (P3 puis P2). Bastien range les crampons en 2015, pour se consacrer pleinement au coaching dès l'âge de 30 ans, directement avec les Espoirs du Royal Mouscron-Péruwelz en D1, ce qui impliquait une présence quotidienne au stade.
Formation :
- régendat en Éducation Physique, diplôme obtenu à Nivelles en 2006
- Préparation Physique à l'université Lille II, Faculté des Sciences et du Sport, diplôme décroché en 2012, avec un stage au RSC Anderlecht, sous la guidance d'Hubert Lemaire et Jérôme Thémont
- brevets C et B en 2016, UEFA B en 2017, UEFA en 2020 (après une année probatoire et préparatoire) obtenu avec grande distinction et le titre honorifique de major de promotion !
Côté Coach: Qu'as-tu appris d'essentiel durant toutes ces années de formation ?
Bastien: Dès l'année 2012, j'étais engagé au Centre de Formation de Mouscron, alors dirigé par Jean-Louis Losfeld. J'ai eu l'occasion d'y aborder toutes les catégories d'âge, ce qui constitue vraiment une appréciable source d'enrichessement. J'y ai croisé d'éminents formateurs et appris beaucoup à leurs côtés. En 2016, je suis passé en Espoirs. C'est le moment où j'ai décidé de suivre les cours d'entraîneur. Pourquoi ce choix ? Parce que j'estime qu'un préparateur physique moderne qui se respecte doit être capable d'une analyse football aussi pointue que celle des autres membres du staff. C'est ainsi par exemple que, même si j'ai encore beaucoup à apprendre, je suis aujourd'hui capable de donner des exercices avec ballon, qu'ils soient du champ de la vitesse, de l'endurance, de la force ou des changements de direction, qui seront en phase avec le plan de jeu de mon entraîneur.
De mon cursus à l'Union Belge, je retiendrai principalement M. Dallemagne, notre professeur référent à l'UEFA A, qui nous a transmis la méthodologie sur les analyses vidéo, l'interprétation des systèmes de jeu ou la capacité à établir rapidement le profil d'un joueur.
J'ai fort apprécié également les cours de prépa mentale donnés par M. Gibas, ainsi que la conception très pointilleuse de séances d'entraînement préconisée par M. Decuyper.
Quels enseignements tires-tu de ton expérience chez les pros ?
On pourrait en parler des heures durant... J'aurais évidemment un tas d'anecdotes à raconter, mais elles ne sont pas toutes à révéler (rires). Humainement parlant, c'était une expérience énorme, des rencontres qu'on peut à peine imaginer, à la fois sur le plan technique bien sûr, mais aussi culturel ou encore linguistique. Le fait de collaborer avec des Portugais (NDLR: lors de l'ère Jorge Simão), de devoir évoluer dans ma maîtrise de l'anglais, a été très enrichissant. J'ai aussi eu la chance de côtoyer Fernando Da Cruz, un grand formateur avec qui j'ai appris énormément.
Un autre aspect qui m'a obligé à évoluer, c'est la pression, qu'il a fallu apprendre à gérer au quotidien. Celle qui émanait à la fois du directeur sportif, du staff, des joueurs, des résultats, des supporters. Elle est tout autre que celle que l'on peut connaître dans un centre de formation, où l'on est un peu plus dans sa zone de confort et où l'on peut davantage se permettre de tester des choses. Quand on passe dans un staff pro, le laboratoire est terminé. Il faut mettre en application ce qu'on a appris et poser les bons choix d'exercices. Le caractère et l'ego de certains joueurs amènent à se dépasser et te font les épaules plus solides.
Le fait ensuite d'avoir traversé les moments difficiles qu'on a connus à Mouscron me permet d'aborder les choses différemment. Je ne pense pas avoir encore à l'avenir à me retrouver autant dans le dur. Les retards de salaires, la motivation qu'il fallait continuer à transmettre aux joueurs, le contexte de la crise Covid à gérer à distance en tant que préparateur physique, autant de paramètres hors du commun... Ce constant besoin de s'adapter nous a tous faits grandir.
Photo officielle d'avant-saison, la dernière de l'Excel Mouscron...
Tu as maintenant repris ton boulot dans l'enseignement ?
Oui, j'y suis retourné à temps plein, dans le secondaire supérieur. J'ai été nommé à l'IESPP de Tournai. J'ai également été engagé par l'ACFF au titre de professeur de Prépa physique pour les candidats UEFA A en Hainaut.
Comment es-tu arrivé au Pays Vert ?
Par l'intermédiaire de Jimmy Hempte, avec qui j'ai collaboré deux ans en Réserves à Mouscron. Sachant que j'étais disponible sur le marché, il m'a rapidement contacté. Ayant déjà bossé ensemble, nous allons gagner du temps. Le discours du président Dubois m'a directement plu; le Pays Vert est un club stable, ça fait du bien...
Venons-en maintenant à notre sujet: la préparation physique. C'est un domaine qui réclame en permanence une formation continue pour se tenir au courant des évolutions, dans le domaine du stretching par exemple...
Tout à fait, je sors d'ailleurs de deux jours de formation sur les préférences motrices. Et un second niveau nous sera proposé en août. J'ai eu l'opportunité d'y discuter pendant une heure de pause avec le préparateur de Rupel-Boom en division 1 nationale. Nous avons échangé sur nos méthodes de travail, c'était réellement captivant !
Quels conseils de base donnerais-tu aux coachs de provinciales qui n'ont pas encore suivi la formation et qui disposent encore moins d'un préparateur physique averti ?
D'abord de beaucoup se documenter et de profiter largement des tutos qu'on trouve facilement sur internet. L'ACFF elle-même en dispense pas mal, sur des thématiques variées. Ensuite, si on veut être performant et crédible, il me semble nécessaire de passer les brevets à l'Union Belge. Et puis, je le répète, écouter, échanger, partager les expériences avec tous les hommes de terrain, c'est vraiment primordial à mes yeux.
Il faut beaucoup tester différents exercices, ne pas avoir peur de se tromper, et aménager par la suite. Ne jamais hésiter non plus à questionner ses joueurs sur leur ressenti. Notre profil d'entraîneur se dessinera comme ça, en expérimentant.
En fonction de la date fixée pour la reprise de la compétition, quelles seront les grandes lignes de conduite de ta préparation ?
Nous avons mis sur pied un mini-stage de deux semaines fin juin, avec prise de contact et reprise graduelle de la course. Du point de vue des joueurs, il s'agit de retrouver les sensations. En ce qui me concerne, il y aura déjà l'objectif de faire leur connaissance et de collecter quelques données en vue d'établir le programme individuel de la mini-trêve estivale, notamment pour éliminer les éventuels surpoids, avant la vraie reprise fixée au 18 juillet. C'est aussi un avantage de pouvoir déjà mettre au point des exercices qui seront connus, ce qui impliquera par la suite un précieux gain de temps.
Leur programme de début juillet portera sur le fond, avec des courses de type fartlek - c'est-à-dire avec des variations d'intensité -, des exercices de renforcement musculaire et une préparation au travail de vitesse. De nouveau dans l'optique de gagner du temps, afin de pouvoir aborder plus vite les aspects tactiques.
Nous disposerons alors de six semaines avant la reprise du championnat, fixée au week-end des 27 et 28 août. La première semaine comprendra les tests, et le volume de travail sera plus conséquent. Les formes de jeu ou de match se feront sur des surfaces plus grandes, avant d'augmenter progressivement l'intensité en réduisant à la fois les surfaces de jeu, le nombre de joueurs et le temps de travail. Au moment de l'affûtage à une dizaine de jours de la compétition, on sera sur des courtes distances et des exercices très dynamiques.
Lors de ces quelques semaines de préparation, comment envisages-tu la répartition dans les différentes filières ?
Comme je viens de l'expliquer, un gros volume de travail au début avec une intensité modérée, celle-ci augmentant en fin de prépa conjointement à la diminution du volume.
Intégration rapide de la vitesse, renforcement musculaire et gainage, travail de coordination pour corriger les déficits sur la technique de course, même si on sait que c'est plus difficile avec des adultes, ces aspects étant entretenus tout au long de la saison pour prévenir les blessures.
Au niveau de la force, on parle de force excentrique, c'est-à-dire tout ce qui est changements de direction. J'ai aussi pour habitude de faire des cycles de musculation, qui sont dépendants du matériel et de la possibilité d'avoir une salle à disposition.
Nous mettrons aussi en place des séances de récupération, en concertation avec Fred Huet, le kiné.
Après chaque entraînement, l'échelle de Foster nous donnera un aperçu de l'intensité, en comparaison avec l'intensité attendue en match. Cette échelle permet de contrôler la charge d'entraînement, en calculant le temps de travail et en sollicitant le ressenti de l'un ou l'autre joueur, qui évaluera l'intensité de chaque exercice, de 1, très faible, à 10, maximale. Ce qui permet de doser le contenu en fonction du moment de la semaine, et ainsi d'éviter le surentraînement.
Appliques-tu un principe de périodisation ?
Tout au long de la saison, je fonctionne sur des cycles de quatre semaines. On programmera l'endurance en milieu de semaine (à J+3, J-3, -4), la vitesse à deux jours du match, avec un travail de force excentrique (changements de direction spécifiques). Tout en gardant en parallèle la prévention, la coordination et la souplesse.
On travaille tous les champs de façon hebdomadaire, et on parle de cycle par rapport à la charge de travail quantifiée. La première semaine sera plus lourde avec davantage de répétitions. Celles-ci seront décroissantes au fur et à mesure des semaines suivantes. Le volume diminue tout en veillant à garder l'intensité.
J'imagine que tu privilégies l'intermittent autant que faire se peut ?
On y arrive très vite en fin de préparation. L'intermittent sera présent dans les cycles de quatre semaines, en associé (intégré) ou dissocié. Certaines séances sont construites avec des blocs de ballon - en s'assurant toujours de l'implication et de l'intensité ! - et des blocs de course. En général, les joueurs aiment bien passer de l'un à l'autre, et cela donne des sessions très dynamiques où on ne voit pas le temps passer. Cette variété procure à l'effort une facilitation mentale.
Introduis-tu directement la vitesse ? Appliques-tu un peu la philosophie de Gilles Cometti ?
Effectivement, nous intégrerons la vitesse très tôt. Dans les deux premières semaines, on y prépare les joueurs. C'est indispensable puisque dans un 11c11 par exemple, il y a des sprints. Le foot est un sport d'explosivité. Dans le programme de trêve estivale, on trouve des exercices dynamiques qui y préparent leur corps.
Il est maintenant acquis que la prévention et le renforcement musculaire doivent figurer au coeur de l'entraînement sportif; il faut en faire continuellement. Il est également intéressant de savoir que, comme on le voit dans le schéma ci-dessous, la répétition de sprints en ligne droite permet d'éviter les blessures.
C'est devenu un peu cliché pour un entraîneur d'affirmer qu'il "fait tout avec ballon". Quel est ton avis là-dessus ?
Pour ce qui est des coachs qui sont fiers d'affirmer qu'ils font tout avec ballon, j'espère pour eux que l'intensité sera toujours présente. Il y a beaucoup d'exercices intéressants avec ballon, mais il faut veiller à ce qu'il y ait continuellement du rythme, comme dans un 4c4. La difficulté, c'est de pouvoir le quantifier. Chez les pros, il y a les GPS pour récolter les données et on peut voir dans quelle filière se trouvent les joueurs. Chose qui est difficilement envisageable à l'heure actuelle dans le foot amateur, où l'on ne dispose pas de ce type d'outils qui coûtent très cher.
En préparation, il faut donc passer par un travail de course en dissocié, avec des piqûres de rappel en cours de saison. En fonction de leur VMA, les joueurs doivent atteindre l'objectif fixé. Si c'est le cas, on peut alors passer aux formes jouées avec ballon. Dans le cas contraire, on continue le travail de course. C'est un deal qui a aussi pour but de booster leur mental.
Comme Bastien nous l'a dit et répété, l'échange d'informations est important dans ce domaine.
N'hésitez donc pas à nous contacter pour toute question ou précision !