Trois journalistes de la presse régionale ont répondu favorablement à notre invitation pour un petit colloque autour de leurs relations la plupart du temps bienveillantes et constructives avec les entraîneurs. Il s'agit de Christophe Caulier (Sudpresse - Nord Éclair), Loïc Defoort (L'Avenir - Courrier Wallonie Picarde) et Geoffrey Devaux (DH Les Sports+). Au-delà de leurs réflexions de fond, ils ont bien entendu des souvenirs marquants et des anecdotes croustillantes à partager...
Côté Coach: Vous avez tous trois un passé de joueur. Quels sont les coachs qui vous ont marqués durant votre parcours, et pour quelles raisons?
Christophe: Je pense tout de suite à Damien LELEU, que j'ai connu à Rongy en P4 et P3. Il n'avait pas son pareil pour créer une ambiance qui soudait le groupe et nous permettait parfois de l'emporter à la 85e. Je le comparerais volontiers en cela à Steve ARTISIEN.
Loïc: J'en citerais trois, dans l'ordre chronologique de ma petite carrière. Serge DECALUWÉ d'abord, alias "Boots", pour le travail fantastique effectué à Maubray avec des moyens pourtant limités. Il m'a lancé en équipe première à l'âge de 16 ans. Nous avons loupé de peu le titre en P3, échouant juste derrière Estaimbourg. Avant de prendre une claque au tour final face à Chimay-Virelles, les trois quarts de l'équipe quittant le club et ayant levé le pied, ce qui m'avait rendu fou sur le terrain... Me revient ensuite Christophe DHAUSSY, pour une top saison aux débuts du Pays Blanc, avec des joueurs arrivés du FC Allain, comme Greg Bocquillon, "Puce" Vervoort, Maxime Hecq... Quelle emprise il avait sur son groupe! Et enfin Laurent DEBRUXELLES, qui m'avait fait venir à la Montkainoise. Une saison hélas écourtée par mon entrée dans la vie professionnelle. J'ai apprécié ses entraînements, plaisants et variés, tout sauf une charge de travail, ainsi que ses séances tactiques, jamais trop longues mais enrichissantes pour le demi-def que j'étais...
Geoffrey: Un passé de joueur, et même un présent, puisque j'officie encore en Réserves au Péruwelz FC! J'ai moi aussi mon lot de coachs à citer... Je commencerais par Philippe SUTHERLAND, avec son profil atypique de champion de Belgique d'orthographe et son humour particulier. Je me souviens spécialement de cette saison en P3 à Leuze-Lignette où nous faisons un 0/12 en Coupe du Hainaut, avec une défaite impensable (3-1) à Orcq... À la suite de ces débuts peu glorieux, nous avions sorti une saison de feu et obtenu le titre de champions! Je l'ai suivi à Leers, où il a malheureusement été remercié à 5 matchs de la fin... C'est devenu un bon ami, et nous sommes restés en contact. J'ai apprécié l'ambiance et la motivation qu'il mettait dans le groupe. Armand BOITE, pour le fun à l'entraînement et la mise en place tactique de son 3-5-2 novateur, à Béclers. J'évoluais seul en 6. Didier LEGRAND, qui m'a amené à Obigies. Il avait un côté très paternaliste avec ses joueurs. Dans les périodes d'inquiétude, il lui arrivait de me sonner pour confier son questionnement et écouter mon point de vue. Et comment ne pas citer Patrice MEURANT, un personnage, qui m'a impressionné par son approche pro et sa rigueur. C'était en 98, j'avais 24 ans, à l'époque du renouveau de Péruwelz, en P3, avec des équipiers aussi charismatiques que Sébastien Gras. Patrice n'était pas encore surnommé "le druide", mais il imposait déjà le respect dans le vestiaire par sa simple présence...
CC: Quel regard portez-vous sur la fonction, et quel est selon vous le degré d'influence d'un coach sur les résultats de son équipe?
Christophe: C'est très variable. Il y a des équipes qui parviendraient bien à décrocher un titre par leurs seules qualités. Et à l'inverse, des coachs capables de décisions fortes, comme Fred DEBAISIEUX lorsqu'il prend le risque à la trêve de se séparer de joueurs doués mais nocifs pour la santé de son groupe... Au-delà du coaching, il ne faudrait pas oublier les infrastructures, ou la gestion financière et sportive du club. C'est capital, pour un coach qui débute surtout, de garder la confiance de son comité en cas de résultats insuffisants. C'est ce qu'on nous avons fait au Pays Blanc vis-à-vis de Gwen RUSTIN lors de son baptême du feu en P1. Le facteur chance compte également; il y a des paramètres qu'un staff ne maîtrise pas, même si certains semblent capables de forcer la réussite. La fameuse patte de lapin...
Loïc: Je crois que la gestion d'un groupe est déterminante sur ses résultats. Je reviens à Christophe DHAUSSY, qui avait su resserrer la vis après un très mauvais démarrage. Il avait remis certains joueurs devant leurs responsabilités et rabaissé quelques "grandes gueules". Il en était ressorti une nette amélioration de l'ambiance et, par voie de conséquence, des performances...
Geoffrey: Nous connaissons des coachs qui disposent d'un excellent matériel humain mais qui n'arrivent pas pour autant au résultat escompté. À l'opposé, des équipes qui réussissent là où elles n'étaient pas attendues. J'évaluerais bien le pourcentage d'influence de l'entraîneur à 60-70%. Tu peux gagner des matchs à l'attitude du coach, qui est un guide. Le T2, généralement plus proche des joueurs, peut lui aussi marquer un groupe de son empreinte.
CC: On sait le rôle joué par la presse dans le football de haut niveau. Est-ce une dimension importante au nôtre également?
Christophe: La plupart des joueurs, coachs et dirigeants sont contents qu'on parle d'eux avec un oeil bienveillant. Nous faisons notre métier, alors que pour tous ces gens, le foot est un passe-temps. C'est gratifiant pour eux qu'on s'intéresse à leur activité. Nous sommes parfois moins conciliants avec les pros, car c'est leur métier...
Loïc: J'avoue que je me pose régulièrement cette question. Est-ce que les coachs nous lisent? Sans doute moins maintenant, avec les réseaux sociaux. Par contre, les Français qui jouent chez nous sont heureusement surpris qu'on relaye leurs prestations au niveau qui est le leur. Du coup, ils se montrent très réceptifs. Certains clubs utilisent d'ailleurs cet argument pour le recrutement, en leur disant qu'ils seront médiatisés.
Geoffrey: Je constate un intérêt positif. Ce n'est pas dans notre esprit de parler négativement. Nous sommes loin de la pression mise par les journalistes dans le milieu du foot pro.
CC: Gabriel Ringlet parlait à propos de la presse régionale d'un "mythe au milieu du village". Dans le même ordre d'idées, François Descy avait créé une rubrique justement intitulée "Les petits clubs ont aussi leurs grands matchs". Vous êtes ainsi amenés à conter les hauts faits de "héros" à notre échelle. Avez-vous des souvenirs forts concernant certains coachs?
Christophe: À l'époque où je couvrais l'Excelsior Mouscron, trois mentors m'ont frappé: Marc BRYS, le meilleur tacticien que j'aie pu suivre au quotidien. Georges LEEKENS pour la personnalité dégagée; un spectacle à lui seul. Et Hein VANHAEZEBROUCK, avant-gardiste du 3-5-2, beaucoup d'aura lui aussi. À un niveau plus régional, je me souviens de la montée en D3 de Péruwelz à Opwijk, avec Patrice MEURANT porté en triomphe par tout un club. Un apogée mérité pour quelqu'un qui "pue" le foot, avec un charisme incroyable, ce jour-là reconnu à sa juste valeur.
Loïc: Au début de ma carrière de journaliste, un coach m'a confirmé dans la passion et la joie d'exercer ce métier, en me témoignant une confiance extraordinaire. Il s'agit de Jean-Marc VARNIER, au RFC Tournai. Un petit bonhomme avec un bagout savoureux; pas vraiment le look attendu d'un coach, on l'aurait plutôt vu en tribune à côté d'Achille Degryse. Lors des prévisions d'avant-saison, en 2006, les observateurs de la D3 pointaient son équipe comme descendant certain. Ainsi, le coach de Maldegem avait affirmé que "celui qui finirait derrière Tournai descendrait". Le mentor des Sang et or a affiché l'article dans le vestiaire, et ses troupes l'ont emporté! Mieux que ça, ils ont fini champions au terme d'une saison phénoménale. Avec les Delbeeke, Quivy, Scarpino, Leroy, ainsi qu'un Delwarte et sa suspension pour raisons extra-sportives. Monsieur Varnier a révélé Michaël Séoudi, relancé Pascal De Vreese, été chercher Maxime Hagué au Gabon, Jimmy Mulisa au Kénya... Je pourrais également mentionner Jacques URBAIN, alias "Papy", pour son regard bienveillant sur nous. Il en imposait par sa poigne; c'est ainsi qu'il avait su convaincre Laurent Wuillot de reparler à la presse, ce que celui-ci refusait catégoriquement au départ.
Geoffrey: J'évoquerai Denis DEHAENE lorsqu'il était l'entraîneur de Deux-Acren. Je couvrais la P1 et devais notamment collecter les pronos du week-end. Denis répondait systématiquement sans aucun temps d'hésitation, même pour un match du style Ransart - Courcelles. J'adorais. C'est quelqu'un qui ne laisse rien au hasard, il te donne vraiment l'impression de tout connaître...
CC: On parle dans le jargon de "bons clients" pour désigner certains coachs. À l'opposé, êtes-vous également confrontés à des interlocuteurs prudents, voire méfiants et pratiquant la langue de bois?
Christophe: Si je me réfère de nouveau à ma période mouscronnoise, Georges LEEKENS était inégalable à ce niveau. Il n'avait pas son pareil pour se mettre la presse en poche. Hein VANHAEZEBROUCK est lui aussi un grand communicateur. À un échelon plus local, si certains prennent l'excuse facile de l'entraînement du vendredi soir pour ne pas divulguer leur sélection, la grande majorité collabore très positivement. Quand j'interviewe un Jean-Do VESSIÉ, je suis certain d'avoir mon titre à la fin de l'appel. Toujours une bonne phrase! Je profite d'ailleurs de l'occasion qui m'est ici offerte pour remercier les coachs qui donnent de leur temps pour répondre à nos sollicitations et nous permettre de faire vivre nos rubriques.
Loïc: Comme Christophe, je me souviens de LEEKENS qui pouvait te rappeler, toi simple journaliste du Courrier de l'Escaut, dix minutes après que tu lui aies laissé un message, et te consacrer du temps pour répondre à tes questions. Plus près de nous, il y a Fabrice MILONE au Pays Vert, qui est quasiment devenu un ami tant la relation de confiance est excellente. Même s'il y avait encore une séance prévue en soirée, il me confiait déjà sa sélection, sûr que je ne la dévoilerais pas avant le lendemain. C'est quelqu'un qui aime jouer avec ce qu'il dit dans les interviews; c'est son côté roublard dans le bon sens du terme.
Geoffrey: Pour revenir à ça, je trouve que taire volontairement sa sélection, c'est excessif... Dans la catégorie "bon client", je peux ajouter aux exemples précédents celui de Georges HEYLENS à son époque athoise. Malgré son glorieux passé, il restait très disponible et me répondait toujours de manière très courtoise.
CC: Au plus haut niveau, les coachs regrettent une dérive vers le sensationnalisme. La presse locale résiste-t-elle à cette tendance?
Christophe: Notre couverture du sport régional se veut très respectueuse. Nous prenons évidemment soin de vérifier nos sources, et rien de faux n'est écrit. Si nous publions une info inhabituellement retentissante concernant un sportif en particulier, c'est qu'il y a un impact sur le collectif. Nous jouons en cela notre rôle de garde-fou. Un joueur participant à un tournoi de tennis au moment où son équipe preste, un autre qui se blesse au futsal en prétendant être tombé dans les escaliers, ou encore le fameux épisode de suspicion de match truqué impliquant Fabien Delbeeke et ses chaussettes pour lequel la preuve de son innocence fut heureusement établie.
Loïc: Dans ma rubrique décalée du samedi, je prends des libertés et je mets de côté mon habituelle réserve. Par le biais de la dérision, je dénonce une manoeuvre qui ne me plaît pas, je recadre gentiment. Certains, et ils sont majoritaires, le prennent bien et apprécient. D'autres moins, pas une semaine ne se passe sans que je n'aie des réactions...
Geoffrey: Je repense pour ma part au grave accident de voiture dont fut victime Fabio Scarpino, et que nous avons couvert plus qu'un simple fait divers. Mais nous étions dans un tel cas de figure bien loin d'une quête de sensationnel.
CC: Les réseaux sociaux et autres applications constituent-ils un réel danger pour la corporation, ou au contraire une opportunité pour évoluer?
Christophe: L'apparition d'Internet, puis des réseaux sociaux, est à la source d'un véritable bouleversement dans notre travail. Les scoops doivent être révélés dans l'immédiat, sinon nous sommes devancés sur les réseaux. Je suis nostalgique de l'époque où la buvette était la principale source d'information. Les clubs aussi ont changé leur manière de communiquer. On est loin du temps où le CQ appelait le journal pour annoncer un transfert... Ceci dit, la toile est une aide autant qu'un concurrent, nous y trouvons beaucoup d'avantages. Je dirais que la couverture du sport régional reste en relative bonne santé, en tout cas plus que le métier en général.
Loïc: Si je cherche à contacter un joueur dont je souhaite faire le portrait, j'utiliserai Messenger plus que le téléphone. Un autre aspect positif, c'est la page Facebook des clubs. À nous de faire le tri. Par contre, je me fais fort de résister à cette tendance consistant à faire la promotion de ses articles sur la toile...
Geoffrey: Je confirme qu'il s'agit là d'un moyen très commode pour obtenir les coordonnées de quelqu'un et entrer plus facilement en contact. D'un autre côté, les réseaux sociaux sont une source de pression, c'est un peu pesant de constamment devoir scruter. Trop de communication ne tue-t-il pas la communication? Cette nouvelle donne fait sans doute perdre un peu de spontanéité au métier. Il y a moins de place pour la réflexion dans l'écriture. Quelques années auparavant, je partais en vacances sans gsm; maintenant, je ne pourrais plus le faire...
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