Transmettre est la seule manière de rester fidèle à ce qu'on a reçu (Enzo Bianchi)
Plus de quarante ans dans le coaching, dont une trentaine dans la formation, Philippe SAINT-JEAN fait sans aucun doute figure de référence en la matière. Un passionné, dingue de travail, à l'impressionnante collection de données, qui a beaucoup à transmettre mais qui en même temps garde une grande soif d'apprendre pour, comme il le dit si bien, "constamment réactualiser".
À peine remis de l'immense déception provoquée par la descente de l'Excel Mouscron et des conséquences sur "son" Futurosport, Philippe a accepté de nous recevoir pour évoquer la philosophie qu'il retire de sa grande expérience dans le domaine de la formation.
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Dans l'ombre des Castors
Côté Coach: Philippe, peux-tu retracer pour nous les prémices de ta carrière et tes premiers pas de formateur?
Philippe St-Jean: Dès l'âge de 15 ans, je frappais aux portes de l'équipe première de Braine-l'Alleud, ce qui m'a donné l'occasion d'y côtoyer un coach qui avait de l'éloquence, et qui m'a immédiatement impressionné. Dix ans plus tard, une grave blessure au genou m'obligeait à mettre un terme précoce à ma carrière de joueur. C'est ainsi que j'ai commencé à entraîner des jeunes à 26 ans, suivi les cours de l'Union Belge et obtenu mon diplôme à 30 ans!
Trois ans plus tard, l'entraîneur de l'équipe première, Maurice SMEETS, et le président du club me demandaient de reprendre le flambeau en P1. Ce que j'ai accepté, tout en gardant un oeil sur la formation. À deux reprises, nous finirons deuxièmes en Promotion. Hélas pour nous, le bourgmestre a privilégié le basket, les Castors étant en plein essor.
En équipe nationale
CC: En même temps, tu as très vite été engagé aux côtés d'Ariel JACOBS à la Fédération!
PSJ: On m'a effectivement confié les 10-12 ans, catégorie qui venait d'être lancée, et qui faisait l'objet d'un large travail de repérage; j'allais visionner en Flandre, mon homologue flamand en faisait de même chez nous. C'était la génération des GENAUX, GOOSSENS, DEFLANDRE, DE BRUL... Nous étions plutôt bons dans l'ensemble. Je me souviens par exemple d'une victoire 3-0 face aux Pays-Bas, mais aussi d'une défaite 0-3 contre les Français, en comparaison desquels nous accusions un net retard technique.
Le fil rouge
CC: D'où cette volonté de commencer plus tôt?
PSJ: À l'époque, on ne jouait pas avant 8-10 ans. J'ai décidé de lancer les cinq ans à Braine-l'Alleud, dans ce qu'on peut appeler la pré-formation. Beaucoup de gens, des professeurs principalement, y ont cru et m'ont suivi dans ce projet. C'est ainsi que nous avons pu initier de nombreux éducateurs bénévoles.
Ce plan de formation, avec un fil conducteur des plus petits jusqu'aux adultes, tenait la route. Franky VERCAUTEREN, de retour du FC Nantes, s'y est intéressé de près et a visiblement trouvé pas mal d'intérêt à mes fardes. Pär ZETTERBERG, le fils de PERUZOVIC, les fils VANDENSTOCK sont aussi passés par notre club.
L'appel de Detremmerie
J'aurais bien pu ne jamais quitter le Brabant wallon et y poursuivre ma mission à la manière d'un Guy ROUX, mais Jean-Pierre DETREMMERIE a réussi à me convaincre. "Tu feras exactement la même chose ici", m'a-t-il dit. C'est ainsi que le Futurosport a vu le jour. J'en suis redevenu le directeur en 2018. Aujourd'hui, nous nous battons pour ne pas tout perdre suite à la descente. Nous avons par exemple des 2004 exceptionnels que nous tenons absolument à garder.
CC: Comment analyses-tu les soubresauts vécus par les clubs et la difficulté à maintenir une ligne de conduite dans la durée?
PSJ: Régulièrement, dans les clubs où je suis passé, il y a toujours eu un problème qui s'est présenté au terme d'un cycle de trois ans. Au moment où l'on s'apprêtait à récolter les fruits de notre travail, qu'on allait être dans la sérénité, la mécanique venait à se gripper. Ce sont par exemple les dirigeants ou les managers qui prétendaient que tel ou tel joueur n'avait pas le niveau que l'on venait d'atteindre. J'ai notamment connu ça à Tubize lors de notre accession en D1, ou à l'Excel, lors de l'arrivée de la direction lilloise en 2012. Dans ces cas-là, ma décision ne tardait pas, ce serait sans moi.
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CC: Quelle est ton évaluation sur le niveau de la formation en Belgique?
PSJ: Il y a deux obstacles majeurs. Tout d'abord la question des moyens. Seuls les clubs plus puissants peuvent investir dans des entraîneurs pro. Ensuite, il y a une lacune énorme pour les équipes réserves, qui ne jouent pas à un bon niveau, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays, comme le Portugal, l'Allemagne ou les Pays-Bas. Chez nous, la plupart des clubs s'opposent à l'idée d'intégrer les équipes B dans les divisions supérieures, notamment par crainte de recettes insuffisantes. Ce serait pourtant intéressant de pouvoir faire mûrir des gars de 17-18 ans contre des hommes.
L'amorti de la tête de Benzema
CC: Quelle évolution as-tu constatée tout au long de ta carrière?
PSJ: Surtout une évolution technique. Je suis convaincu qu'il faut étudier le haut niveau pour le transférer chez les jeunes, en découpant le travail, avec des gammes répétitives. Ainsi, quand j'ai vu le but exceptionnel de Karim Benzema face à Chelsea, j'ai aussitôt envoyé la vidéo à nos formateurs, les invitant à répéter ce geste devenu rare de l'amorti de la tête, en adaptant bien sûr l'exercice pour les plus jeunes.
Magritte, l'inspirateur
CC: On connaît toute l'importance du plan mental dans ton travail. Peux-tu nous en dire plus?
PSJ: Tout est parti de Magritte. Quand je regarde un de ses tableaux, je me demande ce qu'il a voulu dire. Pareil pour le football: une photo, une vidéo, un power-point, associés à une phrase pour faire passer le message. Avec Sébastien HUYGHE, nous avons conçu un ouvrage de 500 pages sur le plan mental. Il est prêt, mais avant d'envisager son édition, nous devons encore obtenir différents droits, notamment pour les photos.
Nous développons cinq plans mentaux tout au long de la formation. Avec les plus petits, nous commençons par les familiariser au sujet grâce au programme intitulé "Qu'est-ce que le mental?". Avant de passer au "savoir-vivre ensemble". Cette discipline de groupe qui se met spécialement en place durant les six semaines de préparation, en fonction de ce que l'on observe.
La charte de la discipline
Cette charte débute par la poignée de mains et le sourire. Ensuite, c'est avant tout une question de respect: pas de papiers ni de bouteilles par terre, les sacs alignés dans la buvette; respecter l'heure de rendez-vous, avec les ballons qui sont prêts au loin, etc.
Par la suite, nous aborderons la gestion des problèmes, qui évoluent avec le temps, comme celui des managers et des rabatteurs, qu'il convient d'évoquer avec les jeunes susceptibles d'entrer dans le foot pro.
Les clés du succès
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"Ce qui est bien commencé est déjà à moitié réussi" (PSJ)
Nous avons déterminé 40 clés du succès, qui peuvent être choisies en fonction du moment et du contexte. Par exemple, la confiance en soi (clé 19), l'audace (clé 21), savoir perdre (clé 31), pour aboutir à la quarantième, la force tranquille, c'est-à-dire les équipes dont tu es sûr qu'elles vont se donner à fond, que tu gagnes ou que tu perdes...
L'exemple de Grégoire Neels
Une de ces clés, la troisième, porte sur l'ambition. Elle peut être abordée la semaine qui précède le premier match. Les joueurs doivent avoir des objectifs à moyen terme: que rêvent-ils d'être dans le foot, où veulent-ils arriver? Pour moi, un jeune de 16 ans dans un club pro doit rêver de l'équipe nationale. Grégoire NEELS, joueur emblématique de l'AFC Tubize, est un parfait exemple de cette volonté d'arriver. Alliant intelligence et mental, ce garçon a gravi les échelons avec son club formateur jusqu'à pouvoir goûter à la D1!
Le sourire
CC: Quelles sont selon toi les principales qualités attendues d'un formateur?
PSJ: L'amour! Du sport, et des jeunes. Le seul critère d'évaluation, c'est: est-ce que les joueurs évoluent et sont heureux? À la fin de l'entraînement, il suffit que je leur demande s'ils se sont amusés et s'ils ont appris quelque chose. Si je les vois sourire quand je vais les saluer, c'est gagné.
Le foot, c'est...
CC: Le foot est donc bien une école de la vie?
PSJ: C'est évident. À bien des points de vue: l'esprit d'équipe, l'intégration, la force mentale pour surmonter une blessure ou la déception d'être sur le banc. La prise de responsabilité d'un enfant de 6 ou 7 ans qui va tirer un pénalty décisif lors d'un tournoi, qui débouchera sur de la joie ou, au contraire, de la frustration. Lui apprendre les bonnes techniques de respiration, qui pourront lui servir dans diverses circonstances de la vie, comme de passer un oral à l'école. C'est tout le sens du plrogramme intitulé Le foot, c'est..., que nous développons spécifiquement à partir des 15 ans.
Le témoignage de Grégoire NEELS
On pouvait dire de lui qu'il changeait la vie (Jean-Jacques Goldman)
CC: Qu'est-ce qui te vient spontanément à l'esprit si j'évoque pour toi Philippe Saint-Jean?
GN: Un homme et un coach extraordinaires. J'ai pu travailler avec lui une dizaine d'années, ça a été une grande chance dans ma vie. L'homme que je suis aujourd'hui, c'est en grande partie à lui que je le dois. Avec Philippe, on ne parlait pas que de foot, c'était une véritable école de vie. L'apprentissage était complet. En fait, il était à l'avance d'une vingtaine d'années sur son temps, dans sa manière de voir les choses, d'aborder un match, et tous ne l'ont malheureusement pas compris.
CC: Peux-tu témoigner de l'importance du mental dans son approche?
GN: Il nous a convaincus de ce que le mental influait à 50% sur les capacités d'un joueur. Nous recevions tous un message personnel dans notre casier. Ca pouvait être une image et un message foot, bien sûr, mais aussi une photo de Michaël Jordan, d'un homme politique, d'une personnalité qui s'était illustrée pour telle ou telle raison. Si un joueur avait commis une erreur, le message en question évoquait la capacité à tirer les leçons et progresser; s'il avait pris une carte rouge évitable, une photo et une phrase d'Éric Cantona du style "J'ai craqué, mais je me suis repris". Des articles de journaux, si l'un de nous avait éventuellement fait une déclaration avec laquelle Philippe n'était pas d'accord. Tout était analysé!
CC: Et sur le plan tactique?
GN: De tous les entraîneurs que j'ai connus, c'est le seul qui ait mis au point une telle organisation: nous avions trois systèmes de jeu. Le coach nous indiquait avec lequel on commencerait, à quelle minute on changerait, et à quel moment on marquerait! C'est fou, mais ça marchait. Il se levait de son banc, nous donnait le signal, nous faisions mine de reculer, et prenions l'adversaire en défaut. Cette mise en place avait évidemment demandé un travail de longue haleine. Et surtout, notre groupe adhérait totalement à sa façon de voir, ce qui n'a pas été le cas partout où il est passé. En D3, puis en D2, nous étions pour ainsi dire invincibles. Lors du tour final qui a permis à Tubize d'atteindre l'élite de notre football, nous avons réalisé un 18/18, avec un seul but encaissé!
J'étais à Dender et le coach m'a rappelé au mercato, en me disant "Reviens, on veut absolument monter en D1"
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CC: Qu'en était-il du travail pendant la semaine?
GN: Il voulait qu'on apprenne à chaque entraînement. C'est un passionné qui nous transmettait sa passion. "Moi, j'ai 50 ans et j'apprends tous les jours, nous martelait-il; donc vous aussi devez apprendre." Et puis les séances étaient personnalisées. Un joueur en surpoids aurait un entraînement plus physique, celui qui avait affiché une lacune technique allait la travailler. Ce n'était pas évident pour un joueur de 30 ans de s'entendre dire qu'il allait exercer spécifiquement son pied gauche toute une partie de l'entraînement. Mais cette philosophie n'avait pour but que la progression individuelle et collective. Personne ne travaillait comme cela il y a quinze ans...
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